• Victor Hugo vous présente ici deux poèmes qui m'ont fait voyager au Moyen-Age de par les sujets traités, les mots employés, la tournure choisie... En sera-t-il de même pour vous ? Que votre esprit se laisse emporter...

     

     

    Religio 

    L'ombre venait ; le soir tombait, calme et terrible. 
    Hermann me dit : -- Quelle est ta foi, quelle est ta bible ? 
                Parle. Es-tu ton propre géant ? 
    Si tes vers ne sont pas de vains flocons d'écume, 
    Si ta strophe n'est pas un tison noir qui fume 
                Sur le tas de cendre Néant,
     

    Si tu n'es pas une âme en l'abîme engloutie, 
    Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie ? 
                Quelle est donc la source où tu bois ? -
    Je me taisais ; il dit : -- Songeur qui civilises, 
    Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises ? -- 
                Nous marchions tous deux dans les bois.
     

    Et je lui dis : -- Je prie. -- Hermann dit : -- Dans quel temple ? 
    Quel est le célébrant que ton âme contemple, 
                Et l'autel qu'elle réfléchit ? 
    Devant quel confesseur la fais-tu comparaître ? 
    --L'église, c'est l'azur, lui dis-je ; et quant au prêtre... -- 
                En ce moment le ciel blanchit.
     

    La lune à l'horizon montait, hostie énorme ; 
    Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l'orme, 
                Le loup, et l'aigle, et l'alcyon ; 
    Lui montrant l'astre d'or sur la terre obscurcie, 
    Je lui dis : -- Courbe-toi. Dieu lui-même officie, 
                Et voici l'élévation.
     

                                       Marine-Terrace, octobre 1855. 

     

    Spes

     

    De partout, de l'abîme où n'est pas Jéhovah, 
    Jusqu'au zénith, plafond où l'espérance va 
    Se casser l'aile et d'où redescend la prière, 
    En bas, en haut, au fond, en avant, en arrière, 
    L'énorme obscurité qu'agitent tous les vents, 
    Enveloppe, linceul, les morts et les vivants, 
    Et sur le monstrueux, sur l'impur, sur l'horrible, 
    Laisse tomber les pans de son rideau terrible ; 
    Si l'on parle à la brume effrayante qui fuit, 
    L'immensité dit : Mort ! L'éternité dit : Nuit ! 
    L'âme, sans lire un mot, feuillette un noir registre ; 
    L'univers tout entier est un géant sinistre ; 
    L'aveugle est d'autant plus affreux qu'il est plus grand ;
    Tout semble le chevet d'un immense mourant ; 
    Tout est l'ombre. Pareille au reflet d'une lampe, 
    Au fond, une lueur imperceptible rampe ; 
    C'est à peine un coin blanc, pas même une rougeur. 
    Un seul homme debout, qu'ils nomment le songeur,

    Regarde la clarté du haut de la colline ; 
    Et tout, hormis le coq à la voix sibylline, 
    Raille et nie ; et, passant confus, marcheurs nombreux, 
    Toute la foule éclate en rires ténébreux 
    Quand ce vivant, qui n'a pas d'autre signe lui-même 
    Parmi tous ces fronts noirs que d'être le front blême, 
    Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit : 
    Cette blancheur est plus que toute cette nuit !
     

                                       Janvier 1856.  


    votre commentaire
  • Revenons à un de mes auteurs favoris M. Franck Thilliez... Laissons de côté quelques instants nos inspecteurs fétiches Sharko et Hennebelle pour nous intéresser à de parfaits inconnus jusqu'alors. Dans cet ouvrage, de la nouveauté, de l'inattendu mais qui va tout de même vous glacer le sang comme Thilliez sait si bien le faire....

     

    La forêt des ombres de Franck ThilliezQuatrième de couverture : Paris, hiver 2006. Arthur Doffre, milliardaire énigmatique, est sur le point de réaliser un rêve vieux de vingt-cinq ans : ressusciter un tueur en série, le Bourreau 125, dans un livre. Un thriller que David Miller, embaumeur de profession et auteur d'un premier roman remarqué, a un mois pour écrire contre une forte somme d'argent.

    Reclus dans un chalet en pleine Forêt-Noire, accompagné de sa femme et de sa fille, de Doffre et de sa jeune compagne, David se met aussitôt au travail. Mais il est des fantômes que l'on ne doit pas rappeler, et la psychose saisit un à un tous les occupants de la ténébreuse demeure cernée par la neige...

     

     

    Olivier Delacroix signe cette critique dans Le Figaro : " Huis clos oppressant, suspense diabolique, plongée violente dans les tréfonds de l'âme humaine, Franck Thilliez réussit l'impensable : prendre d'emblée son lecteur au fond des mailles de son filet romanesque."

     

    Que demander de plus ?

    Oui pour l'essentiel du livre, c'est un huis clos dans le style de Misery de Stephen King. Doffre a des sauts d'humeur tout comme la propriétaire de la maison dans Misery, il y a une bonne couche de neige qui empêche une fuite efficace éventuelle, Miller doit absolument finir son livre et le faire lire régulièrement à Doffre qui donne son avis sur tout et veut évidemment un rôle dans le roman. Miller sent assez rapidement que quelque chose cloche, mais sa famille étant avec lui, sa femme et sa petite fille, il hésite à faire des vagues et cherche juste à finir son roman au plus vite, dans le délai d'un mois accordé, afin de toucher la grosse somme d'argent promise par Doffre.

    Outre l'angoisse de l'enfermement que Thilliez manie merveilleusement bien, l'affaire du Bourreau 125 est une boucherie sans nom, dans laquelle l'auteur nous fait replonger à travers l'enquête de Miller. C'est un psychopathe dénué de toute compassion ou d'émotion, ses crimes sont juste odieux, une petite référence au film Seven de David Fincher est à souligner...

     

    Je ne peux malheureusement pas vous en dire davantage car je ne voudrais pas vous gâcher l'effet de surprise, sachez juste que vous serez plongé dans une enquête morbide dans un endroit angoissant avec des personnages parfois troublants... A lire si vous n'êtes pas claustrophobe, lol ! Moi j'ai adoré ! Et j'ai bien dormi quand même, comme quoi...

     

    Extrait : Ce fut au moment de repartir qu'il la remarque, juste à l'angle de la rue. L'énorme BMW aux vitres teintées. Elle lui arracha un ressac d'adrénaline. Trop grande coïncidence... David était sûr de l'avoir déjà repérée hier, garée en bas de chez lui. Et aujourd'hui, à trente kilomètres de là... 

    Il devait passer devant pour récupérer son épave. Il avança au milieu de la rue, ralentit le pas, puis accéléra à nouveau. Alors, une masse gigantesque jaillit de l'habitacle et se précipita dans sa direction.

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Quand Hugo évoque la société, il n'y va pas de main morte ! On sent ici toute cette colère qui l'habite, toutes ces injustices qu'il exècre et qu'il combat. Il met en lumière tout ce qu'il aimerait voir disparaître, et nous aussi d'ailleurs. 

     

     

    Voyage de nuit 

     

    On conteste, on dispute, on proclame, on ignore. 
    Chaque religion est une tour sonore ; 
    Ce qu'un prêtre édifie, un prêtre le détruit ; 
    Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit, 
    Fait, dans l'obscurité sinistre et solennelle, 
    Rendre un son différent à la cloche éternelle. 
    Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet. 
    Tout l'équipage humain semble en démence ; on met 
    Un aveugle en vigie, un manchot à la barre ; 
    A peine a-t-on passé du sauvage au barbare, 
    A peine a-t-on franchi le plus noir de l'horreur, 
    A peine a-t-on, parmi le vertige et l'erreur, 
    Dans ce brouillard où l'homme attend, songe et soupire, 
    Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire, 
    Que le vieux temps revient et nous mord les talons, 
    Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons ! 
    Jésus-Christ dit: Plus loin! et le sage et l'apôtre 
    S'en vont se demander dans le ciel l'un à l'autre 
    Quel goût a la ciguë et quel goût a le fiel. 
    Par moments, voyant l'homme ingrat, fourbe et cruel, 
    Satan lui prend la main sous le linceul de l'ombre. 
    Nous appelons science un tâtonnement sombre. 
    L'abîme, autour de nous, lugubre tremblement, 
    S'ouvre et se ferme; et l’œil s'effraie également 
    De ce qui s'engloutit et de ce qui surnage. 
    Sans cesse le progrès, roue au double engrenage, 
    Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu'un. 
    Le mal peut être joie, et le poison parfum. 
    Le crime avec la loi, morne et mélancolique, 
    Lutte ; le poignard parle, et l'échafaud réplique. 
    Nous entendons, sans voir la source ni la fin, 
    Derrière notre nuit, derrière notre faim, 
    Rire l'ombre Ignorance et la larve Misère. 
    Le lys a-t-il raison ? et l'astre est-il sincère ? 
    Je dis oui, tu dis non. Ténèbres et rayons 
    Affirment à la fois. Doute, Adam ! nous voyons 
    De la nuit dans l'enfant, de la nuit dans la femme ; 
    Et sur notre avenir nous querellons notre âme ; 
    Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas, 
    L'homme de l'infini traverse les climats. 
    Tout est brume ; le vent souffle avec des huées, 
    Et de nos passions arrache des nuées ; 
    Rousseau dit : L'homme monte ; et de Maistre ; Il descend ! 
    Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant, 
    Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles, 
    Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles, 
    Et qui porte nos maux, fourmillement humain, 
    Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ; 
    Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore, 
    A l'effrayant roulis mêle un frisson d'aurore ; 
    De moment en moment le sort est moins obscur ; 
    Et l'on sent bien qu'on est emporté vers l'azur. 

                                       Marine-Terrace, octobre 1855.  


    votre commentaire
  • Les quatre accords toltèques de Don Miguel RuizExtrait : Notre façon d'aimer ne correspond pas à l'amour véritable. C'est même l'opposé de l'amour, qui doit s'exercer de manière inconditionnelle. Nous apprenons même à nous aimer nous-mêmes à certaines conditions. Il en résulte un rejet de soi et une autopunition qui nous freinent dans notre vie. Si nous pouvions simplement apprendre à aimer sans poser de conditions, c'est toute l'humanité qui se transformerait.

     

    Cela surprendra sûrement mes lecteurs assidus, oui je commence pour une fois par l'extrait ; pour la simple et bonne raison que ce livre n'est pas de la littérature à proprement parler mais plutôt un voyage vers le bien être. Il vous démontrera par des arguments soignés que l'on peut être heureux sans retenue si l'on respecte les quatre accords toltèques, si on se les approprie doucement, sereinement car il n'y a pas de recette miracle voyons...

    Ce sont des phrases simples, des exemples concrets qui vont vous faire du bien, parce que la vie n'est pas facile, parce que la société a des principes, parce qu'on se plie finalement à des règles qui ne sont pas forcément les nôtres et qu'on n'est pas aussi libre d'être nous comme nous le voudrions.

     

    Je ne vais pas rentrer dans les détails, simplement vous livrer les quatre accords toltèques pour que vous ayez un bref aperçu des sujets traités. Voici donc les quatre voies qui mènent au bonheur :

     

    - Que votre parole soit impeccable (pour ne pas blesser et regretter le mot de trop, pour s'encourager, s'aimer et ainsi éviter les mots empoisonnés des autres...)

     

    - Quoi qu'il arrive, n'en faites pas une affaire personnelle  (ce qui est bien ou mal, beau ou moche pour nous ne l'est pas forcément pour les autres, le jugement est basé sur notre parcours personnel, l'avis d'une personne ne peut compter comme l'avis de tous...)

     

    - Ne faites pas de suppositions (l'art de faire un drame pour rien du tout et de dévorer son énergie, une supposition n'est pas une vérité et encore moins une fatalité...)

     

    - Faites toujours de votre mieux (et ce mieux ne sera jamais le même d'une fois à l'autre car il dépend de votre humeur, ne pas en faire trop pour ne pas se vider de son énergie, ne pas en faire trop peu pour éviter les regrets...)

     

    Un bref résumé qui vous chatouillera peut-être et vous donnera envie d'en savoir plus, un peu de psychologie, de sciences humaines ça n'a jamais tué personne... Se libérer l'esprit c'est s'offrir du temps pour soi, de la détente, de la relaxation mais c'est aussi utiliser son énergie pour tout autre chose...

    Enjoy !


    votre commentaire
  • A nouveau, Hugo déplore la perte d'une jeune fille, d'une enfant, d'une innocente que la mort a fauché trop tôt. Cela ravive sa propre douleur qu'il tente d'éteindre à travers ses mots....

     

     

    Claire

    Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne ! 
    O mère au coeur profond, mère, vous avez beau 
    Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne, 
    Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau !
     

    La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ; 
    Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas. 
    Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent, 
    Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?
     

    Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse, 
    Que ta mère jadis berçait de sa chanson, 
    Qui d'abord la charmas avec ta petitesse 
    Et plus tard lui remplis de clarté l'horizon,
     

    Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise ! 
    Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été ! 
    L'astre attire le lys, et te voilà reprise, 
    O vierge, par l'azur, cette virginité !
     

    Te voilà remontée au firmament sublime, 
    Echappée aux grands cieux comme la grive aux bois, 
    Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme 
    Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
     

    Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire. 
    Nous voyons seulement, comme pour nous bénir, 
    Errer dans notre ciel et dans notre mémoire 
    Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
     

    Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ? 
    Marchant sur notre monde à pas silencieux, 
    De tous les idéals tu composais ton âme, 
    Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
     

    En te voyant si calme et toute lumineuse, 
    Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien. 
    Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse, 
    Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.
     

    La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce, 
    L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ; 
    Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe, 
    Toute cette douceur dans toute ta beauté ! 

    Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose 
    Que la forme qui sort des cieux éblouissants, 
    Et de tous les rosiers elle semblait la rose, 
    Et de tous les amours elle semblait l'encens.
     

    Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille 
    Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard 
    Transparent comme l'eau qui s'égaye et qui brille 
    Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard.
     

    Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ; 
    Chantant à demi-voix son chant d'illusion, 
    Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne 
    De vague et de lointain comme la vision.
     

    On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre, 
    Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir, 
    Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ; 
    Et la tombe semblait par moments l'éblouir.
     

    Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ; 
    Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans 
    bruit, Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne 
    Qui reste blanche, même en traversant la nuit !
     

    Elle s'en est allée à l'aube qui se lève, 
    Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu, 
    Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve, 
    Ame qui n'a dormi que dans le lit de Dieu !
     

    Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes, 
    Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés, 
    Regardant à jamais dans les ténèbres mornes 
    La disparition des êtres adorés !
     

    Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse. 
    Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous, 
    Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse 
    Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.
     

    Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route; 
    Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur, 
    Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute, 
    Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur.
     

    Ils viennent sous nos toits; avec nous ils demeurent ; 
    Nous leur disons : Ma fille ! ou: Mon fils ! ils sont doux, 
    Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. --

    O mère, ce sont là les anges, voyez-vous ! 

    C'est une volonté du sort, pour nous sévère 
    Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ; 
    Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre, 
    Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert,
     

    Ils partent radieux ; et qu'ignorant l'envie, 
    L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur, 
    Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie 
    A l'âge où la prunelle innocente est en fleur !
     

    Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres, 
    Nous devons travailler, attendre, préparer ; 
    Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ; 
    Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.
     

    Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose 
    Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil 
    Qui brille et passe ; ils sont la parfum de la rose 
    Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil.
     

    Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme 
    Pour notre chair coupable et pour notre destin ; 
    Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame, 
    Je ne sais quelle soif de mourir le matin !
     

    Ils sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore, 
    Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ; 
    Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore, 
    Continue, au delà, l'épanouissement.
     

    Oui, mère, ce sont là les élus du mystère, 
    Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs, 
    A qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre 
    Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.
     

    Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre, 
    Ils viennent jusqu'à nous qui loin d'eux étouffons, 
    Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière 
    La sereine clarté des paradis profonds.
     

    Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes les plaies, 
    Pansé notre douleur, azuré nos raisons, 
    Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies, 
    Et chanté la chanson du ciel dans nos maisons,
     

    Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes, 
    Et, pour lui faire voir quel est notre chemin, 
    Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes, 
    S'en vont avec un peu de terre dans la main.
     

    Ils s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte, 
    Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus. 
    Alors, nous, pâles, froids, l'oeil fixé sur la porte, 
    Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus.
     

    Nous disons : -- A quoi bon l'âtre sans étincelles ? 
    A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ? 
    A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ; 
    Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ? --
     

    Ils sont partis, pareils au bruit qui sort de lyres. 
    Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit, 
    Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires 
    Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.
     

    Car ils sont revenus, et c'est là le mystère; 
    Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer, 
    Des robes effleurer notre seuil solitaire, 
    Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.
     

    Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ; 
    Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous, 
    Nous nous levons après quelque prière sombre, 
    Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.
     

    Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre : 
    - Mon père ! encore un peu ! Ma mère ! encore un jour ! 
    M'entends-tu ? Je suis là, je reste pour t'attendre 
    Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour.
     

    Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble. 
    Cette vie est amère, et tu vas en sortir. 
    Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble. 
    Tu redeviendras ange ayant été martyr.-

    Oh ! quand donc viendrez-vous ? vous retrouver, c'est naître. 
    Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau, 
    La douce étoile mort, rayonnante, apparaître 
    A ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ?
     

    Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes ! 
    Où sont les enfants morts et les printemps enfuis, 
    Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes, 
    Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?
     

    Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames, 
    Les aimés, les absents, les êtres purs et doux, 
    Les baisers des esprits et les regards des âmes, 
    Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?
     

    Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ? 
    Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor, 
    Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre, 
    Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ?
     

    Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie 
    Où les hymnes vivants sont des anges voilés, 
    Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie, 
    La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?
     

    Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ? 
    Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel, 
    Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre, 
    Sous l'éblouissement du regard éternel ?
     

     

                                       Décembre 1846.  

     

     

     


    votre commentaire