• Les contemplations (29/31)

    Victor Hugo vous présente ici deux poèmes qui m'ont fait voyager au Moyen-Age de par les sujets traités, les mots employés, la tournure choisie... En sera-t-il de même pour vous ? Que votre esprit se laisse emporter...

     

     

    Religio 

    L'ombre venait ; le soir tombait, calme et terrible. 
    Hermann me dit : -- Quelle est ta foi, quelle est ta bible ? 
                Parle. Es-tu ton propre géant ? 
    Si tes vers ne sont pas de vains flocons d'écume, 
    Si ta strophe n'est pas un tison noir qui fume 
                Sur le tas de cendre Néant,
     

    Si tu n'es pas une âme en l'abîme engloutie, 
    Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie ? 
                Quelle est donc la source où tu bois ? -
    Je me taisais ; il dit : -- Songeur qui civilises, 
    Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises ? -- 
                Nous marchions tous deux dans les bois.
     

    Et je lui dis : -- Je prie. -- Hermann dit : -- Dans quel temple ? 
    Quel est le célébrant que ton âme contemple, 
                Et l'autel qu'elle réfléchit ? 
    Devant quel confesseur la fais-tu comparaître ? 
    --L'église, c'est l'azur, lui dis-je ; et quant au prêtre... -- 
                En ce moment le ciel blanchit.
     

    La lune à l'horizon montait, hostie énorme ; 
    Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l'orme, 
                Le loup, et l'aigle, et l'alcyon ; 
    Lui montrant l'astre d'or sur la terre obscurcie, 
    Je lui dis : -- Courbe-toi. Dieu lui-même officie, 
                Et voici l'élévation.
     

                                       Marine-Terrace, octobre 1855. 

     

    Spes

     

    De partout, de l'abîme où n'est pas Jéhovah, 
    Jusqu'au zénith, plafond où l'espérance va 
    Se casser l'aile et d'où redescend la prière, 
    En bas, en haut, au fond, en avant, en arrière, 
    L'énorme obscurité qu'agitent tous les vents, 
    Enveloppe, linceul, les morts et les vivants, 
    Et sur le monstrueux, sur l'impur, sur l'horrible, 
    Laisse tomber les pans de son rideau terrible ; 
    Si l'on parle à la brume effrayante qui fuit, 
    L'immensité dit : Mort ! L'éternité dit : Nuit ! 
    L'âme, sans lire un mot, feuillette un noir registre ; 
    L'univers tout entier est un géant sinistre ; 
    L'aveugle est d'autant plus affreux qu'il est plus grand ;
    Tout semble le chevet d'un immense mourant ; 
    Tout est l'ombre. Pareille au reflet d'une lampe, 
    Au fond, une lueur imperceptible rampe ; 
    C'est à peine un coin blanc, pas même une rougeur. 
    Un seul homme debout, qu'ils nomment le songeur,

    Regarde la clarté du haut de la colline ; 
    Et tout, hormis le coq à la voix sibylline, 
    Raille et nie ; et, passant confus, marcheurs nombreux, 
    Toute la foule éclate en rires ténébreux 
    Quand ce vivant, qui n'a pas d'autre signe lui-même 
    Parmi tous ces fronts noirs que d'être le front blême, 
    Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit : 
    Cette blancheur est plus que toute cette nuit !
     

                                       Janvier 1856.  

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