• Les contemplations (1/31)

    Comme à chaque fois, Victor Hugo sait nous mettre l'eau à la bouche dès sa préface. Ici, il nous chuchote à l'oreille, nous prend dans ses bras comme un père, un grand-père, un membre de la famille, un ami pour nous avouer une chose très simple, il est comme nous. Il n'est pas un être supérieur, il n'a pas de pouvoir, ses mots sont sa force mais ils sont les nôtres. Il est nous, nous sommes lui. Il écrit pour nous, il met sur papier ce que nous pourrions penser, dire, crier, pleurer, rire, avouer, chanter, murmurer juste échanger.

    Il y a couché vingt-cinq années. Il s'y livre sans pudeur, sans retenue comme toujours. On y découvrira toutes ses émotions, de la plus triste (la perte de sa fille) à la plus joyeuse, de la plus engagée à la plus détachée, de la plus intime à la plus populaire. Mais pourquoi m'épancherais-je sur cette oeuvre avec mes maigres mots quand son auteur la décrit aussi bien...

    Préface :

    Si un auteur pouvait avoir quelque droit d’influer sur la disposition d’esprit des lecteurs qui ouvrent son livre, l’auteur des Contemplations se bornerait à dire ceci : Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d’un mort.

    Vingt-cinq années sont dans ces deux volumes. Grande mortalis ævi spatium. L’auteur a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui. La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et les souffrances, l’a déposé dans son cœur. Ceux qui s’y pencheront retrouveront leur propre image dans cette eau profonde et triste, qui s’est lentement amassée là, au fond d’une âme.

    Qu’est-ce que les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait appeler, si le mot n’avait quelque prétention, les Mémoires d’une âme.

    Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir, et qui s’arrête éperdu « au bord de l’infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l’abîme.

    Une destinée est écrite là jour à jour.

    Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi !

    Ce livre contient, nous le répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur. Homo sum. Traverser le tumulte, la rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le silence ; se reposer dans le sacrifice, et, là, contempler Dieu ; commencer à Foule et finir à Solitude, n’est-ce pas, les proportions individuelles réservées, l’histoire de tous ?

    On ne s’étonnera donc pas de voir, nuance à nuance, ces deux volumes s’assombrir pour arriver, cependant, à l’azur d’une vie meilleure. La joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s’effeuille page à page dans le tome premier, qui est l’espérance, et disparaît dans le tome second, qui est le deuil. Quel deuil ? Le vrai, l’unique : la mort ; la perte des êtres chers.

    Nous venons de le dire, c’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes : Autrefois, Aujourd’hui. Un abîme les sépare, le tombeau.

    V. H.

    Guernesey, mars 1856

    A ma fille

    O mon enfant, tu vois, je me soumets.
    Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
    Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
    -- Résignée ! --

    Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
    Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
    Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
    Mets ton âme !

    Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
    L'heure est pour tous une chose incomplète
    L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
    En est faite.

    Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
    Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! --
    Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas !
    Peu de chose.

    Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
    Dans l'univers chacun cherche et désire :
    Un mot, un nom, un peu d'or, un regard,
    Un sourire !

    La gaîté manque au grand roi sans amours ;
    La goutte d'eau manque au désert immense.
    L'homme est un puits où le vide toujours
    Recommence.

    Vois ces penseurs que nous divinisons,
    Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
    Noms dont toujours nos sombres horizons
    S'illuminent !

    Après avoir, comme fait un flambeau,
    Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
    Ils sont allés chercher dans le tombeau
    Un peu d'ombre.

    Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
    Prend en pitié nos jours vains et sonores.
    Chaque matin, il baigne de ses pleurs
    Nos aurores.

    Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
    Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ;
    Une loi sort des choses d'ici-bas,
    Et des hommes !

    Cette loi sainte, il faut s'y conformer.

    Et la voici, toute âme y peut atteindre :
    Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
    Ou tout plaindre !

    Paris, octobre 1842

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