• Les rayons et les ombres (3/7)

    Poursuivons la lecture de ce formidable ouvrage :


    Fiat voluntas

     

    Pauvre femme ! son lait à sa tête est monté.
    Et, dans ses froids salons, le monde a répété,
    Parmi les vains propos que chaque jour emporte,
    Hier, qu'elle était folle, aujourd'hui, qu'elle est morte ;
    Et, seul au champ des morts, je foule ce gazon,
    Cette tombe où sa vie a suivi sa raison !

    Folle ! morte ! pourquoi ? Mon Dieu ! pour peu de chose !
    Pour un fragile enfant dont la paupière est close,
    Pour un doux nouveau-né, tête aux fraîches couleurs,
    Qui naguère à son sein, comme une mouche aux fleurs,
    Pendait, riait, pleurait, et, malgré ses prières,
    Troublant tout leur sommeil pendant des nuits entières,
    Faisait mille discours, pauvre petit ami !
    Et qui ne dit plus rien, car il est endormi.

    Quand elle vit son fils, le soir d'un jour bien sombre,
    Car elle l'appelait son fils, cette vaine ombre !
    Quand elle vit l'enfant glacé dans sa pâleur,
    – Oh ! ne consolez point une telle douleur ! –
    Elle ne pleura pas. Le lait avec la fièvre
    Soudain troubla sa tête et fit trembler sa lèvre ;
    Et depuis ce jour-là, sans voir et sans parler,
    Elle allait devant elle et regardait aller.
    Elle cherchait dans l'ombre une chose perdue,
    Son enfant disparu dans la vague étendue ;
    Et par moments penchait son oreille en marchant,
    Comme si sous la terre elle entendait un chant !

    Une femme du peuple, un jour que dans la rue
    Se pressait sur ses pas une foule accourue,
    Rien qu'à la voir souffrir devina son malheur.
    Les hommes, en voyant ce beau front sans couleur,
    Et cet œil froid toujours suivant une chimère,
    S'écriaient : Pauvre folle ! Elle dit : Pauvre mère !

    Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant
    Parfois coupait sa voix qui murmurait : L'enfant !
    Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie,
    Chercher une lueur au ciel évanouie ;
    Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison,
    Avait en s'en allant emporté sa raison !

    On avait beau lui dire, en parlant à voix basse,
    Que la vie est ainsi, que tout meurt, que tout passe ;
    Et qu'il est des enfants, – mères, sachez-le bien ! –

    Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien,
    Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches,
    Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches !
    On avait beau lui dire, elle n'entendait pas.
    L'œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas
    S'ouvrir les bras charmants de l'enfant qui l'appelle.
    Elle avait des hochets fait une humble chapelle.
    C’est ainsi qu’elle est morte – en deux mois, sans efforts.

    Car rien n'est plus puissant que ces petits bras morts
    Pour tirer promptement les mères dans la tombe.
    Où l'enfant est tombé bientôt la femme tombe.
    Qu'est-ce qu'une maison dont le seuil est désert ?
    Qu'un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert
    Le regard maternel sans l'enfant qui repose ?
    A quoi bon ce sein blanc sans cette bouche rose ?
    […]

    17 février 1837

     

    A Laure, Duchesse d’A.

     

    Puisqu'ils n'ont pas compris, dans leur étroite sphère, 
    Qu'après tant de splendeur, de puissance et d'orgueil, 
    Il était grand et beau que la France dût faire 
    L'aumône d'une fosse à ton noble cercueil ;

    Puisqu'ils n'ont pas senti que celle qui sans crainte 
    Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux 
    A le droit de dormir sur la colline sainte, 
    A le droit de dormir à l'ombre des héros ;

    Puisque le souvenir de nos grandes batailles 
    Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ; 
    Puisqu'ils n'ont pas de cœur ; puisqu'ils n'ont point d'entrailles ;
    Puisqu'ils t'ont refusé la pierre d'un tombeau ;

    C'est à nous de chanter un chant expiatoire ! 
    C'est à nous de t'offrir notre deuil à genoux ! 
    C'est à nous, c'est à nous de prendre ta mémoire 
    Et de l'ensevelir dans un vers triste et doux !

    C'est à nous cette fois de garder, de défendre 
    La mort contre l'oubli, son pâle compagnon ; 
    C'est à nous d'effeuiller des roses sur ta cendre ;
    C'est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !

    Puisqu'un stupide affront, pauvre femme endormie, 
    Monte jusqu'à ton front que César étoila, 
    C'est à moi, dont ta main pressa la main amie, 
    De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là !

    Car j'ai ma mission ; car, armé d'une lyre, 
    Plein d'hymnes irrités ardents à s'épancher, 
    Je garde le trésor des gloires de l'empire ; 
    Je n'ai jamais souffert qu'on osât y toucher !

    Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles ! 
    Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours, 
    Ton noble esprit planait avec de nobles ailes, 
    Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !

    Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres, 
    Livrée à la tempête et femme en proie au sort, 
    Jamais tu n'imitas l'exemple de tant d'autres, 
    Et d'une lâcheté tu ne te fis un port !

    Car, toi la muse illustre, et moi l'obscur apôtre, 
    Nous avons dans ce monde eu le même mandat, 
    Et c'est un nœud profond qui nous joint l'un à l'autre, 
    Toi, veuve d'un héros, et moi, fils d'un soldat !

    Aussi, sans me lasser, dans celte Babylone, 
    Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau, 
    J'ai dit pour l'empereur : Rendez-lui sa colonne ! 
    Et je dirai pour toi : Donnez-lui son tombeau !

     

                                       12 mars 1840

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