• Les Orientales (1)

    C’est un livre qui a suscité beaucoup d’oppositions comme le précise la préface. Il y décrit les paysages, les villes mais aussi les coutumes de plusieurs pays orientaux.


    Avant de vous en livrer quelques extraits, je vous présente quelques phrases de la préface de l’édition originale qui m’ont beaucoup plu. Elles défendent les idées de Hugo mais parlent aussi avec justesse du rôle du poète, de ses choix et des critiques envers la poésie.


    « L’auteur de ce recueil n’est pas de ceux qui reconnaissent à la critique le droit de questionner le poëte sur sa fantaisie, et de lui demander pourquoi il a choisi tel sujet, broyé telle couleur, cueilli à tel arbre, puisé à telle source. L’ouvrage est-il bon ou est-il mauvais ? Voilà tout le domaine de la critique. Du reste, ni louanges ni reproches pour les couleurs employées, mais seulement pour la façon dont elles sont employées. A voir les choses d’un peu haut, il n’y a, en poésie, ni bons ni mauvais sujets, mais de bons et de mauvais poëtes. D’ailleurs, tout est sujet ; tout relève de l’art ; tout a droit de cité en poésie. Ne nous enquérons donc pas du motif qui vous a fait prendre ce sujet, triste ou gai, horrible ou gracieux, éclatant ou sombre, étrange ou simple, plutôt que cet autre. Examinons comment vous avez travaillé, non sur quoi et pourquoi.

    Hors de là, la critique n’a pas de raison à demander, le poëte pas de compte à rendre. L’art ne que faire des lisières, des menottes, des bâillons ; il vous dit : Va ! et vous lâche dans ce grand jardin de poésie, où il n’y a pas de fruit défendu. L’espace et le temps sont au poëte. Que le poëte donc aile où il veut, en faisant ce qu’il lui plaît ; c’est la loi. Qu’il croie en Dieu ou aux dieux, à Pluton ou à Satan, à Canidie ou à Morgane, ou à rien ; qu’il acquitte le péage du Styx, qu’il soit du sabbat ; qu’il écrive en prose ou en vers, qu’il sculpte en marbre ou coule en bronze ; qu’il prenne pied dans tel siècle ou dans tel climat ; qu’il soit du midi, du nord, de l’occident, de l’orient ; qu’il soit antique ou moderne ; que sa muse soit une muse ou une fée, qu’elle se drape de la colocasia ou s’ajuste la cotte-hardie. C’est à merveille. Le poëte est libre. Mettons-nous à son point de vue et voyons.

    […] Il a été plus d’une fois l’objet de ces méprises de la critique. Il est advenu souvent qu’au lieu de lui dire simplement : Votre livre est mauvais, on lui a dit : Pourquoi avez-vous fait ce livre ? Pourquoi ce sujet ? Ne voyez-vous pas que l’idée première est horrible, grotesque, absurde (n’importe !), et que le sujet chevauche hors des limites de l’art ? Cela n’est pas joli, cela n’est pas gracieux. Pourquoi ne point traiter des sujets qui nous plaisent et nous agréent ? les étranges caprices que vous avez là ! etc., etc. A quoi il a toujours fermement répondu : que ces capices étaient ses caprices ; qu’il ne savait pas en quoi étaient faites les limites de l’art, que de géographie précise du monde intellectuel, il n’en connaissait point, qu’il n’avait point encore vu de cartes routières de l’art, avec les frontières du possible et de l’impossible tracées en rouge et bleu ; qu’enfin il avait fait cela, parce qu’il avait fait cela.

    Si donc aujourd’hui quelqu’un lui demande à quoi bon ces Orientales ? qui a pu lui inspirer de s’aller promener en Orient pendant tout un volume ? que signifie ce livre inutile de pure poésie, jeté au milieu des préoccupations graves du public et au seuil d’une session ? où est l’opportunité ? à quoi rime l’Orient ?... Il répondra qu’il n’en sait rien, que c’est une idée qui lui a pris ; et qui lui a pris d’une façon assez ridicule, l’été passé, en allant voir coucher le soleil.

    Il regrettera seulement que ce livre ne soit pas meilleur. 

    […] On s’occupe beaucoup plus de l’Orient qu’on ne l’a jamais fait. Les études orientales n’ont jamais été poussées si avant. Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie. Nous avons aujourd’hui un savant cantonné dans chacun des idiomes de l’Orient, depuis la Chine jusqu’à l’Egypte.

    […] Les couleurs orientales sont venues comme d’elles-mêmes empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries ; et ses rêveries et ses pensées se sont trouvées tour à tour, et presque sans l’avoir voulu, hébraïques, turques, grecques, persanes, arabes, espagnoles même, car l’Espagne c’est encore l’Orient ; l’Espagne est à demi africaine, l’Afrique est à demi asiatique.

    Lui s’est laissé faire à cette poésie qui lui venait. Bonne ou mauvaise, il l’a acceptée et en a été heureux.»

     

     

    Le feu du ciel

                VIII

    Le nuage éclate !

    La flamme écarlate

    Déchire ses flancs,

    L’ouvre comme un gouffre,

    Tombe en flots de soufre

    Aux palais croulants,

    Et jette, tremblante,

    Sa lueur sanglante

    Sur leurs frontons blancs.

     

    Gomorrhe ! Sodome !

    De quel brûlant dôme

    Vos murs sont couverts !

    L’ardente nuée

    Sur vous s’est ruée,

    O peuple pervers !

    Et ses larges gueules

    Sur vos têtes seules

    Soufflent leurs éclairs.

     

    Ce peuple s’éveille,

    Qui dormait la veille

    Sans penser à Dieu.

    Les grands palais croulent,

    Mille chars roulent

    Heurtent leur essieu ;

    Et la foule accrue

    Trouve en chaque rue

    Un fleuve de feu.

     

    Sur ces tours altières,

    Colosses de pierres

    Trop mal affermis,

    Abondent dans l’ombre

    Des mourants sans nombre

    Encore endormis.

    Sur des murs qui pendant

    Ainsi se répandent

    De noires fourmis !

     

    Se peut-il qu’on fuie

    Sous l’horrible pluie ?

    Tout périt, hélas !

    Le feu qui foudroie

    Bat les ponts qu’il broie,

    Crève les toits plats,

    Roule, tombe, et brise

    Sur la dalle grise

    Ses rouges éclats.

     

    Sous chaque étincelle

    Grossit et ruisselle

    Le feu souverain.

    Vermeil et limpide,

    Il court plus rapide

    Qu’un cheval sans frein ;

    Et l’idole infâme,

    Croulant sous la flamme,

    Tord ses bras d’airain.

     

    Il gronde, il ondule,

    Du peuple incrédule

    Rompt les tours d’argent ;

    Son flot vert et rose,

    Que le soufre arrose,

    Fait en les rongeant,

    Luire les murailles

    Comme les écailles

    D’un lézard changeant.

     

    Il fond comme cire

    Agate, porphyre,

    Pierres du tombeau,

    Ploie, ainsi qu’un arbre,

    Le géant de marbre

    Qu’ils nommaient Nabo,

    Et chaque colonne

    Brûle et tourbillonne

    Comme un grand flambeau !

     

    En vain quelques mages

    Portent les images

    Des dieux du haut lieu ;

    En vain leur roi penche

    Sa tunique blanche

    Sur le soufre bleu ;

    Le flot qu’il contemple

    Emporte leur temple

    Dans ses plis de feu.

     

    Plus loin il charrie

    Un palais, où crie

    Un peuple à l’étroit ;

    L’onde incendiaire

    Mord l’îlot de pierre

    Qui fume et décroît,

    Flotte à sa surface,

    Puis fond et s’efface

    Comme un glaçon froid.

     

    Le grand prêtre arrive

    Sur l’ardente rive

    D’où le reste a fui.

    Soudain sa tiare

    Prend feu comme un phare,

    Et pâle, ébloui,

    Sa main qui l’arrache

    A son front s’attache,

    Et brûle avec lui.

     

    Le peuple, hommes, femmes,

    Court… Partout les flammes

    Aveuglent ses yeux ;

    Des deux villes mortes

    Assiégeant les portes

    A flots furieux,

    La foule maudite

    Croit voir, interdite,

    L’enfer dans les cieux !

                                       1er novembre 1828

     

     

    Les têtes du sérail : troisième voix :

     

    […]

    « Voyant depuis vingt jours notre ville affamée,

    J’ai crié : « Venez tous, il est temps, peuple, armée !

    Dans le saint sacrifice il faut nous dire adieu.

    Recevez de mes mains, à la table céleste,

                Le seul aliment qui nous reste,

    Le pain qui nourrit l’âme et la transforme en Dieu ! »

     

    Quelle communion ! Des mourants immobiles,

    Cherchant l’hostie offerte à leurs lèvres débiles,

    Des soldats défaillants, mais encor redoutés,

    Des femmes, des vieillards, des vierges désolées,

                Des enfants de sang allaités !

     

    La nuit vint, on partit. Mais les turcs dans les ombres

    Assiégèrent bientôt nos morts et nos décombres.

    Mon église s’ouvrit à leurs pas inquiets.

    Sur un débris d’autel, leur dernière conquête,

                Un sabre fit rouler ma tête…

    J’ignore quelle main me frappa : je priais.

    […]

                                       Juin 1826

    « le film Hamlet de K.BranaghMaudite soit-elle »

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