• Les contemplations (5/31)

    Retournons avec joie contempler l'univers d'Hugo, d'abord par une intense déclaration d'amour puis par un peu d'humour, Hugo se moque toujours avec classe...

    Bonne lecture.

     

    Billet du matin 

    Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,
    Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
    Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.
    Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : — Tout fuit,
    — Tout s'éteint, tout s'en va ; ta seule image reste.-
    Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
    Il semblait que c'était déjà le paradis.
    Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr; je vous le dis.
    Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
    Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes
    Composait notre corps de flamme et de rayons,
    Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
    Il nous apparaissait des visages d'aurore
    Qui nous disaient : — C'est moi ! — la lumière sonore
    Chantait; et nous étions des frissons et des voix.
    Vous me disiez : — Écoute ! — et je répondais : — Vois !-
    Je disais : — Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ;
    — Vivons ; c'est autrefois que nous étions des ombres.-
    Et, mêlant nos appels et nos cris : — Viens ! oh ! viens !
    — Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens.-
    Éblouis, nous chantions : — C'est nous-mêmes qui sommes
    Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
    Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
    Nous sommes le regard et le rayonnement ;
    Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose,
    C'est nous; l'astre est le nid où notre aile se pose ;
    Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu,
    L'éternité pour l'âge ; et, notre amour, c'est Dieu.

    Paris, juin 18... 

     

    XVIII

    Je sais bien qu'il est d'usage

    D'aller en tous lieux criant
    Que l'homme est d'autant plus sage
    Qu'il rêve plus de néant ;

    D'applaudir la grandeur noire,
    Les héros, le fer qui luit,
    Et la guerre, cette gloire
    Qu'on fait avec de la nuit ;

    D'admirer les coups d'épée,
    Et, la fortune, ce char
    Dont une roue est Pompée,
    Dont l'autre roue est César ;

    Et Pharsale et Trasimène,
    Et tout ce que les Nérons
    Font voler de cendre humaine
    Dans le souffle des clairons !

    Je sais que c'est la coutume
    D'adorer ces nains géants
    Qui, parce qu'ils sont écume,
    Se supposent océans ;

    Et de croire à la poussière,
    A la fanfare qui fuit,
    Aux pyramides de pierre,
    Aux avalanches de bruit.

    Moi, je préfère, ô fontaines,
    Moi, je préfère, ô ruisseaux,
    Au Dieu des grands capitaines
    Le Dieu des petits oiseaux !

    O mon doux ange, en ces ombres
    Où, nous aimant, nous brillons,
    Au Dieu des ouragans sombres
    Qui poussent les bataillons,

    Au Dieu des vastes armées,
    Des canons au lourd essieu,
    Des flammes et des fumées,
    Je préfère le bon Dieu !

    Le bon Dieu, qui veut qu'on aime,
    Qui met au coeur de l'amant
    Le premier vers du poème,
    Le dernier au firmament !

    Qui songe à l'aile qui pousse,
    Aux oeufs blancs, au nid troublé,
    Si la caille a de la mousse,
    Et si la grive a du blé ;

    Et qui fait, pour les Orphées,
    Tenir, immense et subtil,
    Tout le doux monde des fées
    Dans le vert bourgeon d'avril !

    Si bien, que cela s'envole
    Et se disperse au printemps,
    Et qu'une vague auréole
    Sort de tous les nids chantants !

    Vois-tu, quoique notre gloire
    Brille en ce que nous créons,
    Et dans notre grande histoire
    Pleine de grands panthéons ;

    Quoique nous ayons des glaives,
    Des temples, Chéops, Babel,
    Des tours, des palais, des rêves,
    Et des tombeaux jusqu'au ciel ;

    Il resterait peu de choses
    A l'homme, qui vit un jour,
    Si Dieu nous ôtait les roses,
    Si Dieu nous ôtait l'amour !

    Chelles, septembre 18...

     

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