• Les châtiments (5/10)

    Comme promis, un long poème d'Hugo qui fait froid dans le dos tout simplement.

    Souvenir de la nuit du 4

    L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
    Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
    On voyait un rameau bénit sur un portrait.
    Une vieille grand'mère était là qui pleurait.
    Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
    Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
    Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
    Il avait dans sa poche une toupie en buis.
    On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
    Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
    Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
    L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
    Disant : - Comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
    Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
    Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
    La nuit était lugubre ; on entendait des coups
    De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
    - Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
    Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
    L'aïeule cependant l'approchait du foyer,
    Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
    Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
    Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
    Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
    Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
    - Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
    Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
    Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
    Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
    C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
    A tuer les enfants maintenant? Ah! mon Dieu !
    On est donc des brigands ? Je vous demande un peu,
    Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
    Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
    Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
    Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
    Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
    Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
    De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
    Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
    Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
    - Que vais-je devenir à présent toute seule ?
    Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
    Hélas ! je n'avais plus de sa mère que l
    ui.
    Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
    L'enfant n'a pas crié vive la République. -


    Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
    Tremblant devant ce deuil qu'on ne consol
    e pas.

    Vous ne compreniez point, mère, la politique.
    Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
    Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
    Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
    De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
    Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
    La famille, l'église et la société ;
    Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
    Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;
    C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères,
    De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
    Cousent dans le l
    inceul des enfants de sept ans.

    2 décembre 1852. Jersey.

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