• Les châtiments (1/10)

    On ne peut parler de ce livre sans évoquer la préface suivante datant de 1853. Elle résume parfaitement l'état d'esprit dans lequel se trouve Victor Hugo à cette époque. On ne peut d'ailleurs qu'être d'accord avec ses pensées :

    Il a été publié à Bruxelles une édition tronquée de ce livre, précédée de lignes que voici :

    "Le faux serment est un crime.

    Le guet-apens est un crime.

    La séquestration arbitraire est un crime.

    La subornation de fonctionnaires publics est un crime.

    La subornation de juges est un crime.

    Ce sera un des plus douloureux étonnements de l'avenir que, dans de nobles pays qui, au milieu de la prostration de l'Europe, avaient maintenu leur constitution et semblaient être les derniers et sacrés asiles de la probité et de la liberté, ce sera, disons-nous, l'étonnement de l'avenir que dans ces pays-là il ait été fait des lois pour protéger ce que toutes les lois humaines, d'accord avec toutes les lois divines, ont dans tous les temps appelé crime.

    L'honnêteté universelle proteste contre ces lois protectrices du mal.

    Pourtant, que les patriotes qui défendent la liberté, que les généreux peuples auxquels la force voudrait imposer l'immoralité, ne désespèrent pas ; que, d'un autre côté, les coupables, en apparence tout-puissants, ne se hâtent pas trop de triompher en voyant les pages tronquées de ce livre.

    Quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui se croient les maîtres du peuple et qui ne sont que les tyrans des consciences, l'homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d'accomplir son devoir tout entier.

    La toute-puissance du mal n'a jamais abouti qu'à des efforts inutiles. La pensée échappe toujours à qui tente de l'étouffer. Elle se fait insaisissable à la compression ; elle se réfugie d'une forme dans l'autre. Le flambeau rayonne ; si on l'éteint, si on l'engloutit dans les ténèbres, le flambeau devient une voix, et bâillon à la bouche qui parle, la parole se change en lumière, et l'on ne bâillonne pas la lumière.

    Rien ne dompte la conscience de l'homme, car la conscience de l'homme, c'est la pensée de Dieu."

    "Les quelques lignes qu'on vient de lire, préface d'un livre mutilé, contenaient l'engagement de publier le livre complet. Cet engagement, nous le tenons aujourd'hui."

    Victor Hugo, Jersey

    Au moment de rentrer en France (31 août 1870)

    Qui peut, en ce instant où Dieu peut-être échoue,
    Deviner
    Si c'est du côté sombre ou joyeux que la roue
    Va tourner ?

    Qu'est-ce qui va sortir de ta main qui se voile,
    Ô destin ?
    Sera-ce l'ombre infâme et sinistre, ou l'étoile
    Du matin ?

    Je vois en même temps le meilleur et le pire ;
    Noir tableau !
    Car la France mérite Austerlitz, et l'empire
    Waterloo.

    J'irai, je rentrerai dans ta muraille sainte,
    Ô Paris !
    Je te rapporterai l'âme jamais éteinte
    Des proscrits.

    Puisque c'est l'heure où tous doivent se mettre à l'oeuvre,
    Fiers, ardents,
    Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre
    Au dedans ;

    Puisque l'idéal pur, n'ayant pu nous convaincre,
    S'engloutit ;
    Puisque nul n'est trop grand pour mourir, ni pour vaincre
    Trop petit ;

    Puisqu'on voit dans les cieux poindre l'aurore noire
    Du plus fort ;
    Puisque tout devant nous maintenant est la gloire
    Ou la mort ;

    Puisqu'en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent,
    Jour sacré !
    Puisque c'est le moment où les lâches reculent,
    J'accourrai.

    Et mon ambition, quand vient sur la frontière
    L'étranger,
    La voici : Part aucune au pouvoir, part entière
    Au danger.

    Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes,
    Sont chez nous,
    J'irai, je me mettrai, France, devant tes fautes
    À genoux !

    J'insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres,
    Leurs défis ;
    Je te demanderai ma part de tes misères,
    Moi ton fils.

    Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes,
    Tes malheurs,
    Je baiserai tes pieds, France, l'oeil plein de flammes
    Et de pleurs.

    France, tu verras bien qu'humble tête éclipsée
    J'avais foi,
    Et que je n'eus jamais dans l'âme une pensée
    Que pour toi.

    Tu me permettras d'être en sortant des ténèbres
    Ton enfant ;
    Et tandis que rira ce tas d'hommes funèbres
    Triomphant,

    Tu ne trouveras pas mauvais que je t'adore,
    En priant,
    Ébloui par ton front invincible, que dore
    L'Orient.

    Naguère, aux jours d'orgie où l'homme joyeux brille,
    Et croit peu,
    Pareil aux durs sarments desséchés où pétille
    Un grand feu,

    Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes,
    Tu dansais
    Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges
    Du succès,

    Alors qu'on entendait ta fanfare de fête
    Retentir,
    Ô Paris, je t'ai fui comme le noir prophète
    Fuyait Tyr.

    Quand l'empire en Gomorrhe avait changé Lutèce,
    Morne, amer,
    Je me suis envolé dans la grande tristesse
    De la mer.

    Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire,
    Bruits confus,
    J'opposais à ton luxe, à ton rêve, à ton rire,
    Un refus.

    Mais aujourd'hui qu'arrive avec sa sombre foule
    Attila,
    Aujourd'hui que le monde autour de toi s'écroule,
    Me voilà.

    France, être sur ta claie à l'heure où l'on te traîne
    Aux cheveux,
    Ô ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne,
    Je le veux !

    J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
    Ont craché ;
    Tu me regarderas debout sur ta muraille,
    Ou couché.

    Et peut-être, en ta terre où brille l'espérance,
    Pur flambeau,
    Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France,
    Un tombeau.
    Bruxelles, 31 août 1870.

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