• Les chants du crépuscule (5/5)

    Dernier extrait, profitez-en bien. A suivre "les voix intérieures"...

     

     

     

    A mademoiselle Louise B.

     

    L’année en s’enfuyant par l’année est suivie.

    Encore une qui meurt ! Encore un pas du temps !

    Encore une limite atteinte dans la vie !

    Encore un sombre hiver jeté sur nos printemps !

     

    Le temps ! les ans ! les jours ! mots que la foule ignore !

    Mots profonds qu’elle croit à d’autres mots pareils !

    Quand l’heure tout à coup lève sa voix sonore,

    Combien peu de mortels écoutent ses conseils !

     

    L’homme les use, hélas ! ces fugitives heures,

    En folle passion, en folle volupté,

    Et croit que Dieu n’a pas fait de choses meilleures

    Que les chants, les banquets, le rire et la beauté.

     

    Son temps dans les plaisirs s’en va sans qu’il y pense.

    Imprudent ! est-il sûr de demain ? d’aujourd’hui ?

    En dépensant ses jours sait-il ce qu’il dépense ?

    Le nombre en est compté par un autre que lui.

     

    A peine lui vient-il une grave pensée

    Quand, au sein du festin qui satisfait ses vœux,

    Ivre, il voit tout à coup de sa tête affaissée

    Tomber en même temps les fleurs et les cheveux ;

     

    Quand ses projets hâtifs l’un sur l’autre s’écroulent ;

    Quand ses illusions meurent à son côté ;

    Quand il sent le niveau de ses jours qui s’écoulent

    Baisser rapidement comme un torrent d’été.

     

    Alors en chancelant il s’écrie, il réclame,

    Il dit : Ai-je donc bu toute cette liqueur ?

    Plus de vin pour ma soif ! plus d’amour pour mon âme !

    Qui donc vide à la fois et ma coupe et mon cœur ?

     

    Mais rien ne lui répond. _ Et triste, et le front blême,

    De ses débiles mains, de son souffle glacé,

    Vainement il remue, en s’y cherchant lui-même,

    Ce tas de cendre éteint qu’on nomme le passé !

                                        31 décembre 1831

     

     

     

    Que nous avons le doute en nous

     

    De nos jours, _ plaignez-vous, douce et noble femme !

    L’intérieur de l’homme offre un sombre tableau.

    Un serpent est visible en la source de l’eau,

    Et l’incrédulité rampe au fond de notre âme.

     

    Vous qui n’avez jamais de sourire moqueur

    Pour les accablements dont une âme est troublée,

    Vous qui vivez sereine, attentive et voilée,

    Homme par la pensée et femme par le cœur,

     

    Si vous me demandez, vous muse, à moi poëte,

    D’où vient qu’un rêve obscur semble agiter mes jours,

    Que mon front est couvert d’ombres, et que toujours,

    Comme un rameau dans l’air, ma vie est inquiète ;

     

    Pourquoi je cherche un sens au murmure des vents ;

    Pourquoi souvent, morose et pensif dès la veille,

    Quand l’horizon blanchit à peine, je m’éveille

    Même avant les oiseaux, même avant les enfants ;

     

    Et pourquoi, quand la brume a déchiré ses voiles,

    Comme dans un palais dont je ferais le tour

    Je vais dans le vallon, contemplant tour à tour

    Et le tapis de fleurs et le plafond d’étoiles ;

     

    Je vous dirai qu’en moi je porte un ennemi ;

    Le doute, qui m’emmène errer dans le bois sombre,

    Spectre myope et sourd, qui, fait de jour et d’ombre,

    Montre et cache à la fois toute chose à demi.

     

    Je vous dirai qu’en moi j’interroge à toute heure

    Un instinct qui bégaye, en mes sens prisonnier,

    Près du besoin de croire un désir de nier,

    Et l’esprit qui ricane auprès du cœur qui pleure.

     

    Aussi vous me voyez souvent parlant tout bas,

    Et, comme un mendiant à la bouche affamée

    Qui rêve assis devant une porte fermée,

    On dirait que j’attends quelqu’un qui n’ouvre pas.

     

    Le doute ! mot funèbre et qu’en lettres de flammes

    Je vois écrit partout, dans l’aube, dans l’éclair,

    Dans l’azur de ce ciel, mystérieux et clair,

    Transparent pour les yeux, impénétrable aux âmes !

     

    C’est notre mal à nous, enfants des passions

    Dont l’esprit n’atteint pas votre calme sublime ;

    A nous dont le berceau, risqué sur un abîme,

    Vogua sur le flot noir des révolutions.

     

    Les superstitions, ces hideuses vipères,

    Fourmillent sous nos fronts où tout germe est flétri.

    Nous portons dans nos cœurs le cadavre pourri

    De la religion qui vivait dans nos pères.

     

    Voilà pourquoi je vais, triste et réfléchissant ;

    Pourquoi souvent, la nuit, je regarde et j’écoute,

    Solitaire, et marchant au hasard sur la route

    A l’heure où le passant semble étrange au passant.

     

    Heureux qui peut aimer, et qui dans la nuit noire,

    Tout en cherchant la foi, peut rencontrer l’amour !

    Il a du moins la lampe en attendant le jour.

    Heureux ce cœur ! Aimer, c’est la moitié de croire.

                                       13 octobre 1835

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