• Les contemplations (20/31)

    Voici deux poèmes qui mettent en parallèle les vivants, les morts, la souffrance et la vie... Un peu de philosophie ne peut nous faire que du bien. Bonne lecture et bonne réflexion intérieure...

     

     

     

    XII : A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt  

     

    La nuit était fort noire et la forêt très sombre.

    Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.

    Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu !

    Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.

    Les étoiles volaient dans les branches des arbres

                Comme un essaim d'oiseaux de feu.

     

    Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,

    L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance.

    Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez !

    Or, tout en traversant ces solitudes vertes,

    Hermann me dit: Je songe aux tombes entr'ouvertes !

    Et je lui dis: Je pense aux tombeaux refermés !

     

    Lui regarde en avant ; je regarde en arrière.

    Nos chevaux galopaient à travers la clairière ;

    Le vent nous apportait de lointains angelus ;

    Il dit: Je songe à ceux que l'existence afflige,

    A ceux qui sont, à ceux qui vivent. - Moi, lui dis-je,

                Je pense à ceux qui ne sont plus !

     

    Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?

    Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?

    Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.

    Hermann me dit : Jamais les vivants ne sommeillent.

    En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.

    Et je lui dis : Hélas ! d'autres sont endormis !

     

    Hermann reprit alors : Le malheur, c'est la vie.

    Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! J'envie

    Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.

    Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ;

    Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes

                Dans tous les tombeaux à la fois !

     

    Et je lui dis : Tais-toi ! respect au noir mystère !

    Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.

    Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois !

    C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !

    Ne les attristons point par l'ironie amère.

    Comme à travers un rêve ils entendent nos voix!

                                       Octobre 1853.

     

    XIII : veni, vidi, vici

     

    J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs

    Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,

    Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,

    Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

     

    Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,

    J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;

    Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,

    Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

     

    Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ;

    Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,

    O ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes,

    Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

     

    Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.

    Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.

    J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,

    Debout, mais incliné du côté du mystère.

     

    J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veillé,

    Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.

    Je me suis étonné d'être un objet de haine,

    Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

     

    Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,

    Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,

    Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,

    J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

     

    Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ;

    Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;

    Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme

    Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

     

    Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,

    Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.

    O Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit,

    Afin que je m'en aille et que je disparaisse !

                                       Avril 1848.

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